Notre préoccupation profonde concerne le passé; et tout en allant vers l'avenir, vers ce qu'on devient, c'est du passé, du mystère de ce qu'on fut, qu'on se soucie. (...)
Entre ces deux questions qui cachent une angoisse de la même nature : que vais-je faire ? et qu'ai-je fait ?, c'est cette dernière qui est la plus grave : elle ferme toute possibilité d'une correction, d'une nouvelle chance.
Dans qu'ai-je fait ? sonne aussi le glas du c'est fait pour l'éternité. (...) C'est parce qu'il lui donne la conscience tragique de l'indéfectible, de l'irréparable, que le passé est ce qui inquiète le plus l'homme.
La peur de demain porte toujours, même infime, (...) l'espoir des possibles, du faisable, de l'ouvert, du miracle.
Celle du passé ne porte rien que le poids de sa propre inquiétude. (...)
On ne regrette pas seulement ce qui a été; on regrette aussi et surtout ce qui sera à jamais.
Mohamed Mbougar Sarr in La plus secrète mémoire des hommes (p.204)
L'auteur écrit que nous sommes tous inquiets par rapport à un passé que l'on ne peut réécrire; entendez que nous serions remplis de regrets ou de remords. Dans Cheveu Blanc, je fais le même constat : notre chevelure blanchit parce que nous ne pouvons revenir en arrière, effacer ce qui s'est passé et recommencer avec une nouvelle page blanche.
Et pourtant, je témoigne que mon focus personnel est loin d'être pointé sur hier: je ne ressasse pas mon histoire, j'ai même tendance à oublier, je ne suis pas rancunière et quand je m'en veux d'avoir eu une pensée ou un parole blessante, c'est l'opportunité de changer et de poursuivre mon évolution personnelle et spirituelle.
Je suis bien plus préoccupée par les difficultés qui surviennent dans mon présent et mon futur proche que par un passé dont je n'ai plus de souvenir. Je suis sûre que je ne suis pas la seule.
Le monde serait-il divisé en deux catégories de personnes ?
Ceux qui se préoccupent du passé et ceux qui se projettent dans l'avenir.
Ajoutons-y ceux qui ne vivent que dans le présent, mais ils sont probablement peu nombreux.
Nous passons probablement d'une catégorie à l'autre au cours de notre vie, en fonction de notre vécu et de notre expérience. Avec le temps, on apprend à relativiser.. ou pas..
J'en connais qui continue à regretter, à ressasser leurs erreurs, mais aussi à trouver que c'était mieux avant.
Et vous, dans quelle catégorie, vous trouvez-vous ?
Ce qui est amusant, c'est que dans l'écriture de mon roman "Emporté par les Flots", je fais beaucoup de recherches sur le passé, plus précisément la fin de la guerre et en particulier, au Québec. Tout démarre là-bas et à cette époque. Un événement va déclencher d'autres événements qui reviennent en boucle et qui créent un blocage dans la vie d'un de mes protagonistes aujourd'hui. Le dénouement ne pourra avoir lieu que lorsque le passé sera reconnu, entendu et pardonné. Pour tout dire, mes personnages ne se préoccupent pas du passé mais bien de leur avenir. Mais ils ne pourront avancer dans leur vie que s'ils retournent dans le passé pour briser la répétition et libérer ce qui doit l'être.
Le passé a donc plusieurs dimensions :
- sa propre histoire, celle dont on ressasse les erreurs et les tourments, dans un sentiment d'impuissance et d'inéluctabilité car on ne peut pas revenir en arrière.
- l'histoire de ses ancêtres, qu'on ne connait pas toujours, mais qui nous influence, qui est en nous, dont on a hérité au travers de croyances et de modes de pensées familiaux.
- le passé que l'on a oublié. Ce passé n'existe pour ainsi dire plus, il a été réécrit et ne peut plus nous faire souffrir.
Au fur et à mesure qu'on abandonne nos histoires et qu'on revisite celle de nos ancêtres, on devient disponible pour le présent.
C'est ce que j'aime faire vivre à mes personnages : les aider à se libérer de leurs histoires et de leur passé pour exister et être heureux. N'est-ce pas une belle idée ?
Laurence Legrand
crédit photo : Gerd Altmann de Pixabay
Le passé, le futur et entre les deux, le présent, comme un pont qui relie