Pourquoi un tel succès encore après 35 ans, alors que personne n’en voulait ?

   

En 1980, Eleanor Bergstein écrit une  histoire inspirée de sa propre vie.

Elle avait déjà publié un premier roman 10 ans auparavant et écrit le scénario d’un film, complètement passés inaperçus. 

C’est encore un scénario de film qui prend forme mais cette fois-ci, c’est plus personnel. 

Elle l’envoie à des dizaines de producteurs.

Les uns après les autres, ils le refusent.

Imaginez ! vous avez écrit un livre ou un scénario de film et fier comme tout, heureux de votre “bébé”, vous l'envoyez à des éditeurs ou des producteurs. 

Et vous attendez. 

Quelques mois. 

patiemment.

ou avec impatience

C’est votre bébé.. vous y avez mis votre coeur, votre âme, vos tripes.. 

Vont-ils aimer ?  

Quelqu’un va-t-il dire “je le veux “?

Avec un peu de chance, on vous répond gentiment “malgré bla bla bla, nous n’avons pas retenu votre ouvrage”, mais la plupart du temps vous n'avez pas de réponse. Après quelques mois d’attente, vous vous rendez à l’évidence, personne n'en veut.

Et maintenant, que faire ?

  • Vous n’êtes évidemment pas le.la seul.e à écrire. Il faut sortir du lot, mais comment faire?
  • Vous le relisez et vous remaniez une fois de plus votre histoire mais bon vous pouvez pas vraiment la renvoyer ; il aurait mieux valu faire une bonne première impression;
  • Vous vous dites qu’ils ne l’ont même pas lu, ou qu’ils n’ont rien compris et dépité.e, vous le rangez dans un tiroir;
  • Vous y croyez quand même et vous décidez de vous éditer ou vous produire vous-même, avec vos moyens limités. Après tout, on peut faire sans eux, non ?
  • Vous oubliez ce texte et décidez d’écrire une nouvelle histoire. Et pourtant, elle était belle cette histoire, c’est la vôtre et vous êtes sûr.e qu’il y a un public qui serait heureux de la connaître.

ou alors…

vous continuez encore et encore à en parler autour de vous, à envoyer à d’autres éditeurs,

même quand votre petite voix intérieure vous dit de laisser tomber..

Eleanor, elle, va continuer pendant 3 ans à soumettre son scénario aux producteurs d'Hollywood.

3 années oui oui, vous avez bien lu.

Elle envoie même une bande son qu’elle demande d’écouter pendant la lecture du scénario. 

3 années de refus et de silence. 

Elle persévère.

Elle tient bon. 

Jusqu’au jour où une toute jeune maison de production nouvellement créée, parmi les 5000 scénarios refusés partout ailleurs qui sont “déversés dans leur hall d’entrée”, lit son histoire.

Ce jeune et tout nouveau producteur débutant y retrouve des éléments de sa propre jeunesse et il va dire “moi je vais le faire, ce film !”. 

Enchantée, bien évidemment, Eleanor décide de co-produire. Elle sera à la manœuvre dans le choix des acteurs : ce seront deux jeunes comédiens, encore inconnus du grand public mais, ça saute aux yeux pour elle, ils incarnent son histoire.  

Le tournage commence en septembre 1986 avec un tout petit budget de 5 millions de dollars.

Ce sera chaotique, la météo jouera contre eux, les scènes non tournées sont perdues, les comédiens ne s'entendent pas vraiment (mais heureusement ça joue en faveur du film).

Eleanor pleure presque chaque nuit.

La tension est vive mais le film est bouclé, monté, pour être finalement présenté aux producteurs et aux journalistes.

A l'unanimité, la réaction est négative ! C'est mal joué, mal tourné, on leur conseille même de brûler la pellicule et de se faire rembourser par l’assurance.

Le studio de production est donc persuadé de faire un flop.

La sortie est néanmoins programmée pour août 1987 pour un week-end et il est prévu de le proposer ensuite en cassette vidéo.

Le public visé: les adolescents - les teenagers comme on dit aux USA.

Il n’y avait aucun autre film à l’affiche ce mois-là alors que venaient de sortir les mois précédents des block busters comme Full Metal Jacket, Les incorruptibles et Tuer n'est pas Jouer, le nouveau James Bond de l’époque.

Pas mal quand même, vous ne trouvez pas ? Elle a vu son film se réaliser, quelle chance ! Bon les critiques des professionnels ne sont pas bonnes mais peut-être que le public va aimer. C’est sans doute ce que Eleanor se dit. 

Et puis, un professeur d’une des plus prestigieuses universités américaines (même Obama y est passé) voit le film et écrit un article* dans le New York Times - le deuxième journal le plus lu aux States. Il décrit le film comme une métaphore de la société américaine des années 60. 

Que fait-il ? 

il élève le point de vue et au lieu de voir juste l'histoire d’une jeune adolescente qui tombe amoureuse de son professeur de danse, il voit le choc entre deux milieux socio-culturel opposés, dont les différences s'effacent sur la piste. 

Comme l’évoque cet article**:

“Baby est intelligente, ce n'est pas une héroïne au physique exceptionnel et l'accent est mis dès le début du film sur son ambition de faire le bien.

Elle rêve de militer avec les marcheurs de la paix, de vivre les grands bouleversements de l'époque, de changer le monde.

Car à l'aube des années 60, on assiste à une mutation en profondeur de la société américaine. Tout le monde essaie de poursuivre le rêve américain entre consommation, essor de la télévision, voiture de luxe, téléphone et maison, en se disant que tout sera toujours comme ça. Mais des voix s'élèvent.

On veut plus d'égalité et plus de justice.

(...) Le film parle ainsi de l'ouverture à la liberté et à la sexualité. Les gays, les noirs, les femmes commencent à revendiquer leurs droits. Elles commencent à quitter le foyer, à travailler en extérieur, certaines osent même demander le divorce. On assiste à un éclatement de la sphère familiale, à l'atténuation des conflits raciaux et à la révolution sexuelle. Si la pilule est commercialisée depuis 1960 aux États-Unis, l'avortement, lui est toujours interdit. La liberté et l'audace que Baby découvre à travers la danse et l'amour de Johnny, dressent un mur entre elle et sa famille.

La danse est l'illustration symbolique de ce conflit social, l'expression d'une liberté et d'une identité nouvelle.”

Ça fait mouche !

La société de production décide d’envoyer cet article aux distributeurs et aux cinémas.

Le succès va se répandre dans tous les Etats-Unis et puis dans le monde entier.

Le public qui viendra voir le film sera finalement un public adulte.

Les recettes s'élèveront à 50 fois le budget du film.

Le film est toujours à ce jour un grand succès, ainsi que sa bande son et des phrases cultes sont reprises dans d’autres films. Encore aujourd’hui, 35 ans après la sortie du film, on cherche chaque jour sur internet des infos sur ce film.

Ce film, vous l'avez deviné ou vous le connaissez sûrement, il s’agit de DIRTY DANCING

Combien de fois l’avez-vous vu ?

Pour ma part, oserais-je l’avouer.. je ne l’ai jamais vu en entier.. mais par contre, j'ai beaucoup écouté les chansons” She’s like the wind” et “the time of my life". Du pur bonheur. 

Alors ? Que peut-on en tirer comme leçon? 

Il ne faut jamais abandonner, aurait-on envie de dire..

oui c’est vrai, mais parfois, ce qu’on a écrit n'est vraiment pas bon et il vaut mieux passer à autre chose, si si..

Il faut toujours continuer à y croire, diront les adeptes de la pensée créatrice et positive, dont je fais partie.

Mais est-ce que cela suffit vraiment ? il en faut du moral et de la force intérieure quand on vous dit de mettre votre film dans le feu.

Je suis sûre qu’Eleanor a douté à maintes reprises au fil de ce parcours semé d'embûches.

Et pourtant elle a continué sa route. 

Mais d'autres aussi persévèrent sans que le succès ne soit au rendez-vous.

Alors quoi ? pourquoi ?

Si on regarde les événements qui s’enchaînent et qu’on cherche une cause et une conséquence, il n’y a pas d’explication logique.

Tout partait dans la direction de l’échec, et le dénouement est au-delà des espérances.

Et donc moi comme ça je dirais qu’il n’y a RIEN à comprendre, non rien, à ce revirement de situation inattendu.

C'est juste un ensemble d'éléments qui s’associent de manière totalement improbable et qui fait que quelque chose arrive, on ne sait pas trop comment et ça marche ! oui ça marche ! 

Ne cherchez pas la recette pour la reproduire, il n’y en a pas !

Et pourtant, si on regarde autrement, on peut voir que la recette d’Eleanor et de tous ceux qui ont embarqué avec elle dans cette aventure, c’est quelque chose comme : un peu de talent, beaucoup de travail, pas mal de patience, mais aussi un grain de "chance" et d’aide divine, via ce professeur d’université auquel personne n’aurait jamais demandé son avis s’il ne l'avait fait lui-même. 

Allons un pas plus loin :

Dieu sait pourquoi, mais c'est comme s'IL FALLAIT que ce récit se répande sur la planète, comme pour nourrir un mouvement qui a démarré dans les années 60 - époque du film - , qui était toujours vivant dans les années 80, et l'est encore aujourd'hui : besoin de liberté et d'égalité !

Eleanor a-t-telle raconté son histoire en pensant si loin ? probablement pas.

Et pourtant, elle tenait très fort à son sujet. Elle voulait raconter comment la danse l'avait libérée en tant que femme (et aussi au niveau sexuel).

 Elle portait son histoire, la vibrait et ses vibrations se sont répandues comme des ondes dans l'eau, pour rencontrer d'autres vibrations similaires:  celle du producteur, celle du professeur d'université, celle des premiers spectateurs, etc ... pour finalement se répandre dans le monde entier.

Le film s'est attiré un égrégore de vibrations similaires qui finit en raz de marée médiatique.

Quelle belle histoire, vous ne trouvez pas ?

Voici ce que m'inspire le parcours d'Eleanor et du succès de son film : 

  1. ECOUTER SON ÂME : développer son intuition et ne pas "réfléchir" ou “raisonner” l'histoire que l'on souhaite raconter, ne pas calculer mais se connecter à son âme; 
  2. TRANSFORMER SES RÊVES EN OBJECTIFS : Il faut oser rêver et croire en ses rêves en les transformant en objectifs ; 
  3. CROIRE EN SON PUBLIC : quelqu’un quelque part a besoin de lire ce que l’auteur écrit. Peut-être sont-ils nombreux ces “quelqu’un”. Et comme on n’en sait rien, autant essayer pour ne pas priver ces quelques uns ; 
  4. ETRE PATIENT.E : ne pas se décourager, la patience est de mise ; 
  5. LÂCHER-PRISE : rien de tout cela n’est sous contrôle ; 
  6. BOSSER, BOSSER, BOSSER : rien ne se fera tout seul et ce n’est pas parce qu'on est connecté qu'on ne doit pas améliorer son style, son orthographe, etc..
  7. VIBRER, VIBRER, VIBRER et s'amuser : sinon ce serait vraiment pas marrant.

Laurence Legrand


Mes sources :

- Un reportage sur RTL-TVI : https://www.rtlplay.be/dirty-dancing-35-ans-dune-success-story-p_21176

- Wikipedia : https://en.wikipedia.org/wiki/Dirty_Dancing

*l'article de Freedman : https://www.nytimes.com/1987/08/16/movies/film-dirty-dancing-rocks-to-an-innocent-beat.html

**https://www.rts.ch/info/culture/cinema/8968961-dirty-dancing-fait-danser-les-coeurs.html

 crédit photo : Leeroy Agency sur Pixabay

Pourquoi un tel succès encore après 35 ans, alors que personne n’en voulait ?
Laurence Legrand 8 janvier 2022
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L'envie d'écrire suffira-t-elle ?